Depuis quelque temps les publicités de substrats contenant des spores de truffes pour faire des réensemencements en truffières sont de plus en plus nombreuses. Jean-Charles Savignac nous a sollicités pour nous demander un avis scientifique sur ces différents produits. Tout d’abord, n’ayant pas de données sur l’utilisation de ces produits et surtout sur leurs effets nous nous contenterons de discuter l’intérêt que peut avoir le trufficulteur à faire du réensemencement. Nous discuterons aussi un certain nombre de points qu’il faut garder à l’esprit avant l’achat d’un produit de ce type. Les études récentes menées dans le cadre de SYSTRUF et poursuivies ensuite ont permis de mieux comprendre la reproduction sexuée de T. melanosporum (Murat et al., 2013 ; Le Tacon et al., 2015 ; Taschen et al., 2016 ; De la Varga et al., 2017). Nous ne reprendrons pas ici les principaux résultats car plusieurs articles du Trufficulteur les ont déjà présentés (Murat, 2013 ; Murat et al., 2014 ; Selosse et al., 2016). Toutefois parmi ces résultats il est important de reprendre le rôle que les ascospores semblent avoir dans le cycle biologique de T. melanosporum. Ces ascospores sont présentes dans les ascocarpes de truffes et elles sont disséminées souvent sur des petites distances par les animaux du sol. Dans le sol elles vont germer, les mycéliums ainsi produits pourront dans certains cas établir la symbiose ectomycorhizienne avec les racines des arbres. Dans d’autres cas, le mycélium issu de la germination de la spore jouera le rôle du mâle, en rencontrant un autre mycélium jouant le rôle de la femelle. Pour jouer le rôle de femelle, ce second mycélium doit être compatible au mâle et relié à l’arbre via des ectomycorhizes pour participer en tant qu’individu nourricier au cycle de reproduction sexuée. D’après les études menées conjointement à Paris, Montpellier et Nancy il semble que les mycéliums issus de la germination des spores puissent être source d’éléments mâles ; on ignore encore si les mycéliums qui jouent le rôle de mâle arrivent à survivre et comment, dans le sol. Entre truffes non détectées et apports initiaux, il existe souvent une banque de spores, plus ou moins dense, dans le sol. Une forte concentration de spores dans le sol ne peut donc, en l’état actuel des connaissances, qu’améliorer l’initiation de la reproduction sexuée. Pour avoir des spores dans le sol des truffières deux options sont possibles : 1) faire un apport de spores et 2) si la truffière est productive laisser une partie de la récolte au champ. L’apport de spores, ou réensemencement, peut se faire de différentes façons et chaque trufficulteur a développé la sienne. Certains trufficulteurs font des apports « en plein » sur l’ensemble de la surface du brûlé, aussi bien après l’installation des jeunes arbres que pendant toute la durée de la truffière. D’autres font des apports d’ascospores mélangées à de la tourbe neutralisée par du calcaire ou d’autres substrats organiques mélangés à de la vermiculite, dans des trous d’une vingtaine de cm de profondeur et d’une vingtaine de cm de diamètre. C’est une pratique connue sous le nom de « pièges à truffes » ou « nids à truffes ». Cette pratique se développe actuellement rapidement en France et surtout en Espagne où elle fait l’objet d’une utilisation qui commence à devenir systématique. Si cette technique a montré son efficacité pour localiser dans les nids la production (Fizzala, 2012 ; Bonneau, 2015, 2016 ; Murat et al., 2016), il n’existe cependant pas pour l’instant d’analyses scientifiques fiables permettant d’évaluer les résultats de cette technique sur la productivité globale d’une truffière. Nous y travaillons, mais il faut voir que cette méthode cumule deux effets, dont les rôles respectifs ne sont pas encore distingués : une perturbation du sol et un ensemencement. En d’autres termes, même si le lecteur est convaincu du succès de cette méthode, on ne sait encore ce qui le fait. Une fois encore, nous travaillons à clarifier cela. Quelles précautions à prendre pour le choix des ascocarpes et des substrats ? Il existe tout d’abord des substrats, désinfectés ou non, destinés aux trufficulteurs qui veulent eux-mêmes produire leur propre matériel de réensemencement en incorporant à ces substrats leurs propres truffes. Ces substrats sont en général à base de tourbe et de vermiculite. Le critère essentiel de choix est la garantie d’un pH voisin de la neutralité. La désinfection à la vapeur, bien que non indispensable, nous semble aussi un critère à prendre en compte. En général les trufficulteurs utilisent des truffes non commercialisables. Il nous semble nécessaire d’être très vigilant à ce sujet. Les ascospores de ces truffes étant appelées à intervenir dans la reproduction sexuée et donc dans la qualité de la future récolte, il apparaît judicieux de n’utiliser que des truffes matures dont les spores sont aptes à germer et de proscrire les truffes matures ou de trop mauvaise qualité. Il est évidemment nécessaire de ne pas se tromper d’espèces et d’éviter d’inoculer des truffières à T. melanosporum avec des ascocarpes de T. brumale, de T. aestivum ou pire de T. indicum ! Ce point est critique, c’est pourquoi nous ne pouvons qu’encourager les trufficulteurs de n’acheter que des truffes bien identifiées, et de faire très attention aux brisures. Dans le cas de substrat prêt à l’emploi (contenant des spores) nous conseillons fortement de n’acheter que ceux contenant des truffes préalablement contrôlées par un organisme indépendant. Qu’il nous soit permis de souligner deux autres aspects, plus génétiques ceux-là, et aux conséquences pratiques importantes. Il y a un risque qu’en prenant des ascocarpes malades, abîmés ou présentant un défaut de maturité, on inocule des mâles et/ou femelles présentant un défaut génétique dans la date de maturation ou la sensibilité aux pathogènes. Bien sûr, ce n’est pas certain, car ces défauts peuvent être accidentels, mais dans le doute, il vaut mieux prévenir ce risque. Tout le monde sait qu’on n’obtient pas un beau champ de blé en ressemant les moins beaux grains de l’année passée ! Par ailleurs, plusieurs travaux suggèrent des différences génétiques entre les truffes des différentes régions françaises ou européennes (Murat et al., 2004 ; Riccioni et al., 2008 ; Taschen et al., 2016) et des traces d’adaptations ont aussi été détectées dans le génome de T. melanosporum (Payen et al., 2015). Bien qu’on ne sache pas encore actuellement si cela correspond à des différences de qualité ou de goût, il importe d’être prudent et de ne pas brouiller les identités génétiques régionales, pour le cas où elles s’avéreraient importantes. De plus, les échanges de truffes à longues distances sont aussi de potentiels vecteurs de dispersion de maladies. Il est donc important, dans l’état actuel des incertitudes, d’utiliser des truffes de belle nature et si possible éviter les origines de truffes exotiques. Pour conclure, les données scientifiques suggérant le rôle des spores dans la reproduction sexuée de T. melanosporum ainsi que les observations des trufficulteurs nous permettent de dire qu’une forte concentration de spores dans le sol peut favoriser la reproduction de la truffe. Cela dit, on n’a pas de preuve directe que l’abondance de spores peut être limitante dans certains sols, et on ne sait pas encore prédire si une truffière est limitée en spores. De plus, l’absence de données scientifiques, d’itinéraires techniques et surtout l’absence de données démontrant l’efficacité des produits actuellement commercialisés ne nous permettent pas de conseiller un produit plutôt qu’un autre. Toutefois, nous attirons l’attention du lecteur sur les risques d’introduire des espèces de truffes non désirables en l’absence d’un contrôle fiable des truffes utilisées par un organisme indépendant. Il faut aussi bien garder en mémoire que dans un gramme de truffes (soit pour 0,5 à 1 €) il y a entre 1 et 2 millions de spores. Il est donc possible de faire un réensemencement assez simplement